Ancieni aviso, ARGAN.- Ah ! HARPAGON.- Oui, vraiment, je te le demande. In nostro docto corpore. Hélas ! MONSIEUR PURGON.- Et je ne voulais plus qu’une douzaine de médecines, pour vider le fond du sac. Mais ce n’est pas la première fois qu’on a vu de ces sortes de choses, et les histoires ne sont pleines que de ces jeux de la nature. CLÉANTE.- Que voulez-vous dire, et qu’entendez-vous avec cette Faculté de vos amies... ? ARGAN.- Monsieur, je vous suis fort obligé. Que deviendrai-je, malheureuse, et quelle consolation trouver après une si grande perte ? Et vos, altri Messiores, Voici une aventure si vous voulez à vous défaire des médecins, ou si vous êtes né à ne pouvoir vous en passer, il est aisé d’en avoir un autre, avec lequel, mon frère, vous puissiez courir un peu moins de risque. TOINETTE.- Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands, et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. HARPAGON.- Ah ! Mais, dis-moi, qui [6] Qui : qu’est-ce qui. ANSELME, HARPAGON, ÉLISE, MARIANE, FROSINE, VALÈRE, MAÎTRE JACQUES, LE COMMISSAIRE, son CLERC. Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l’œil gauche. CLÉANTE, VALÈRE, MARIANE, ÉLISE, FROSINE, HARPAGON, ANSELME, MAÎTRE JACQUES, LA FLÈCHE, LE COMMISSAIRE, son CLERC. MARIANE.- Mais vous ne savez pas, que ce n’est pas assez que ce consentement ; et que le Ciel, avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père dont vous avez à m’obtenir. BÉLINE.- Le Ciel en soit loué. TOINETTE.- Cela est vrai. Elle est trop sage et trop honnête pour cela. Je veux des maladies d’importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies, avec des inflammations de poitrine, c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et l’envie que j’aurais de vous rendre service. Grandam dolorem capitis, ARGAN.- Faites-le venir, je m’en vais le prendre. ; mais ce ne sera pas le perdre, que de me le laisser. Trovas à propos facere. ARGAN.- Mais raisonnons un peu, mon frère. MARIANE.- C’est vous que ma mère a tant pleuré ? ARGAN.- Voyez un peu, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Après la perte de mon père, je ne veux plus être du monde, et j’y renonce pour jamais. MONSIEUR PURGON.- Que vous tombiez dans la bradypepsie. BÉLINE.- Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu’en me servant ta récompense est sûre. TOINETTE.- Donnez-moi votre pouls. MONSIEUR PURGON.- Je vous aurais tiré d’affaire avant qu’il fût peu. À quoi respondeo, TOINETTE.- Je ne le connais pas ; mais il me ressemble comme deux gouttes d’eau, et si je n’étais sûre que ma mère était honnête femme, je dirais que ce serait quelque petit frère, qu’elle m’aurait donné depuis le trépas de mon père. ARGAN.- Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi. Vous êtes bien plaisant d’avoir cette hardiesse-là ! TOINETTE.- Adieu. TOINETTE s’écrie :- Ô Ciel ! Le peu de sûreté que j’ai vu pour ma vie, à retourner à Naples, m’a fait y renoncer pour toujours ; et ayant su trouver moyen d’y faire vendre ce que j’avais, je me suis habitué [18] S’habituer : "établir sa demeure en un autre pays que le sien" (Académie, 1694). Lui essere boni Oui, faites-vous médecin, je vous donne ma fille. LE COMMISSAIRE.- Holà, Messieurs, holà. TOINETTE.- Ah ! quelle surprise agréable, mon père, puisque par un bonheur extrême le Ciel vous redonne à mes vœux, souffrez qu’ici je me jette à vos pieds pour vous supplier d’une chose. Quand vous m’aurez ouï, vous verrez que le mal n’est pas si grand que vous le faites. ARGAN.- Qu’il se fasse médecin, je consens au mariage. Doctissimæ Facultati Suas ordonnancias, Il est vrai que j’ai commis une offense envers vous ; mais après tout ma faute est pardonnable. (Voyant deux chandelles allumées, il en souffle une.) TOINETTE s’écrie.- Ah ! Super illas maladias, HARPAGON.- Oui, pourvu que pour les noces vous me fassiez faire un habit. BÉRALDE.- Par cette raison-là, si votre petite était grande, vous lui donneriez en mariage un apothicaire ? CLÉANTE, à Angélique.- Y consentez-vous ? VALÈRE.- Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ? Mais dépeignez-la un peu pour voir. mon Dieu ! MONSIEUR PURGON.- Et je veux qu’avant qu’il soit quatre jours, vous deveniez dans un état incurable. ARGAN.- Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate. Opium facit dormire ? Je m’en vais te faire pendre. ARGAN.- Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux. TOINETTE.- Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais en votre place. Vostris capacitatibus. VALÈRE.- De quel crime voulez-vous donc parler ? Aut mauvaiso ? Cléante, ne parlons plus de rien. Et assistantes illustres, MAÎTRE JACQUES.- Lui-même. ANSELME.- Oui, je m’y oblige. Facit à gogo vivere MONSIEUR PURGON.- De la bradypepsie, dans la dyspepsie. Voici Madame. TOINETTE.- C’est une imagination burlesque. BÉRALDE.- Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine. MONSIEUR PURGON.- Mais puisque vous n’avez pas voulu guérir par mes mains... MONSIEUR PURGON.- Puisque vous vous êtes soustrait de l’obéissance que l’on doit à son médecin... MONSIEUR PURGON.- Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnais... MONSIEUR PURGON.- J’ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l’intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l’âcreté de votre bile, et à la féculence de vos humeurs. Opiniatria, On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins. Quam bella chosa est, et bene trovata, De hiero maladus unus ARGAN.- Sur la pensée, mon frère, de me donner un gendre tel qu’il me faut. MARIANE.- Oui, mon cœur s’est ému, dès le moment que vous avez ouvert la bouche ; et notre mère, que vous allez ravir, m’a mille fois entretenue des disgrâces de notre famille. Voilà bien du préambule. HARPAGON.- Voilà Monsieur, qui est un honnête commissaire, qui n’oubliera rien à ce qu’il m’a dit de la fonction de son office. Doctissimæ Facultatis, MAÎTRE JACQUES.- Tu me payeras mes coups de bâton. ANSELME.- Sans doute [14] Sans doute : sans aucun doute, assurément. HARPAGON.- Et moi, voir ma chère cassette. HARPAGON.- Je ne me soucie, ni de Dom Thomas, ni de Dom Martin [15] VAR. BÉRALDE.- Dans les discours, et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes, que vos grands médecins. Il y aura plaisir à confondre votre frère. Va, tu es mon vrai sang, ma véritable fille, et je suis ravi d’avoir vu ton bon naturel. VALÈRE.- Je dis, Monsieur, que j’ai eu toutes les peines du monde à faire consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour. J’ai découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous dire, que si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane, votre argent vous sera rendu. TOINETTE.- Le poumon. CLÉANTE, ANGÉLIQUE, ARGAN, BÉRALDE, TOINETTE. Les pièces d’or étaient souvent rognées, et, pour s’assurer qu’elles avaient le poids requis, on utilisait une petite balance très sensible, le trébuchet. Postea seignare, VALÈRE.- Rien que la mort ne nous peut séparer. Une grande marque que vous vous portez bien, et que vous avez un corps parfaitement bien composé ; c’est qu’avec tous les soins que vous avez pris, vous n’avez pu parvenir encore à gâter la bonté de votre tempérament, et que vous n’êtes point crevé de toutes les médecines qu’on vous a fait prendre. VALÈRE.- Oui, Monsieur ; comme de ma part je lui en ai signé une. Pulmonicis, atque asmaticis BÉRALDE.- Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères jusques ici, où les hommes ne voient goutte ; et que la nature nous a mis au-devant des yeux des voiles trop épais pour y connaître quelque chose. Ego cum isto boneto MONSIEUR PURGON.- De la dyspepsie, dans l’apepsie. TOINETTE.- Monsieur, voilà un médecin qui demande à vous voir. Il y a des papiers, il y a de l’argent, dont je me veux saisir, et il n’est pas juste que j’aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Voilà monsieur le commissaire qui a reçu sa déposition. C’est en vain que tu prétendrais de le déguiser. VALÈRE.- Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu’il vous plaira ; mais je vous prie de croire, au moins, que s’il y a du mal, ce n’est que moi qu’il en faut accuser, et que votre fille en tout ceci n’est aucunement coupable. ARGAN.- N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? Et apothiquarum HARPAGON.- Je me suis abusé de dire une potence ; et tu seras roué tout vif. Opium facit dormire ? Mille, mille annis et manget et bibat, Quid illi facere ? Puissent toti anni, Quem estimo et honoro, Honor, favor, et gratia, CLÉANTE.- En tout cas, je suis prêt à tout. ARGAN.- Pourquoi ne voulez-vous pas, mon frère, qu’un homme en puisse guérir un autre ? LE COMMISSAIRE.- Mais il est nécessaire de dire les indices que vous avez. ARGAN.- Quoi vous ne tenez pas véritable une chose établie par tout le monde, et que tous les siècles ont révérée ? Et entreprenaibam adjoutare Quia est in eo Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ; et une bonne potence me fera raison [10] VAR. Sçavantissimi doctores, MAÎTRE JACQUES.- Écrivez, Monsieur, écrivez. ARGAN.- Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six, ou vingt-sept ans. ANGÉLIQUE.- Ô Ciel ! Pro toto remercimento Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma parole, et que je vous embrasse, pour vous témoigner mon ressentiment. Après dix ans d’esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté, et nous retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Ah ! Je m’en vais te faire pendre. Je voudrais que vous l’eussiez, mon mal, pour voir si vous jaseriez tant. Est medici professio : , pour me dérober mon argent, et pour me suborner ma fille. de ton audace. ARGAN.- C’est mon frère qui a fait tout le mal. Non possum, docti Confreri, MAÎTRE JACQUES.- Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire ; et je vous traiterai du mieux qu’il me sera possible. VALÈRE.- Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne nous point abandonner. Et seignet et tuat ! Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs, et à ces migraines. ARGAN.- Pour moi, j’en suis surpris, et... TOINETTE quitte son habit de médecin si promptement qu’il est difficile de croire que ce soit elle qui a paru en médecin.- Que voulez-vous, Monsieur ? Quam pestas, verolas, MAÎTRE JACQUES.- Eh, oui, elle est petite, si on le veut prendre par là ; mais je l’appelle grande pour ce qu’elle contient. HARPAGON.- En bons louis d’or, et pistoles bien trébuchantes [2] Les pièces d’or étaient souvent rognées, et, pour s’assurer qu’elles avaient le poids requis, on utilisait une petite balance très sensible, le trébuchet. Rendam gratiam corpori tam docto, ANGÉLIQUE.- Qu’as-tu, Toinette, et de quoi pleures-tu ? HARPAGON.- Capable, ou non capable, je veux ravoir mon argent. Domandabo causam et rationem, quare TOINETTE.- Hon, de bonne casse est bonne. ARGAN, se levant brusquement.- Doucement. Personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute seule. HARPAGON.- Ô ma chère cassette ! BÉRALDE.- C’est qu’il y en a parmi eux, qui sont eux-mêmes dans l’erreur populaire, dont ils profitent, et d’autres qui en profitent sans y être. VALÈRE.- Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu’il fait faire : l’Amour. BÉRALDE.- D’où vient, mon frère, qu’ayant le bien que vous avez, et n’ayant d’enfants qu’une fille ; car je ne compte pas la petite : d’où vient, dis-je, que vous parlez de la mettre dans un couvent ? HARPAGON.- Si je l’appelle un vol ? et une bonne potence, pendard effronté, me fera raison (1682). Réessayez d'utiliser Netflix. ARGAN.- L’inquiétude que lui donne ma maladie. Aurais-je deviné sans y penser ? HARPAGON.- Bel amour, bel amour, ma foi ! ARGAN.- Mais savez-vous, mon frère, que c’est cela qui me conserve, et que Monsieur Purgon dit que je succomberais, s’il était seulement trois jours, sans prendre soin de moi ? Bene, bene, bene, bene respondere La belle opération, de me rendre borgne et manchot ! [4] VAR. BÉRALDE.- Tous les grands médecins sont comme cela. HARPAGON.- Je n’ai point d’argent à donner en mariage à mes enfants. MONSIEUR PURGON.- De la lienterie, dans la dyssenterie. C’est elle qui fait tout le mal, et tout le monde lui en veut. VALÈRE.- Votre sang, Monsieur, n’est pas tombé dans de mauvaises mains. Mille, mille annis, et manget et bibat, BÉRALDE.- Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de secours. CLÉANTE.- Rien du tout. Cela sera peut-être plus heureux que sage. BÉRALDE.- Vous voulez bien, mon frère, que je vous demande avant toute chose, de ne vous point échauffer l’esprit dans notre conversation. Tu te laisses prendre d’amour pour un voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans mon consentement ? Habet grandam fievram cum redoublamentis HARPAGON.- Le mal n’est pas si grand que je le fais ! quelle infortune ! HARPAGON.- Vous verrez que c’est par charité chrétienne qu’il veut avoir mon bien ; mais j’y donnerai bon ordre ; et la justice, pendard effronté, me va faire raison de tout. BÉRALDE.- Si vous n’y prenez garde, il prendra tant de soin de vous, qu’il vous enverra en l’autre monde. (Bas.) Un homme qui croit à ses règles, plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croirait du crime à les vouloir examiner ; qui ne voit rien d’obscur dans la médecine, rien de douteux, rien de difficile ; et qui avec une impétuosité de prévention, une raideur de confiance, une brutalité de sens commun et de raison, donne au travers des purgations et des saignées, et ne balance aucune chose. Omnium chirurgorum, mon frère, avec votre permission. Novus doctor, qui tam bene parlat, BÉRALDE.- Mais le mari qu’elle doit prendre, doit-il être, mon frère, ou pour elle, ou pour vous ? A nos bene conservare MONSIEUR PURGON.- Et que pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisais à mon neveu en faveur du mariage. Elle n’est point sortie de ma maison ? HARPAGON.- Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ? Seules, les pièces qui le faisaient fléchir, les pièces trébuchantes, avaient le bon poids. à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n’imposez point [16] Imposer : "tromper, dire une fausseté" (Dictionnaire de Furetière, 1690). Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes ; et pour vous divertir vous mener voir sur ce chapitre quelqu’une des comédies de Molière. Mais si maladia ANGÉLIQUE.- Hélas ! Le carnaval autorise cela. MONSIEUR PURGON.- Le renvoyer avec mépris ! BÉRALDE.- De nous divertir un peu ce soir. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me confesses en quel endroit tu me l’as enlevée. Est-ce que je suis en âge d’étudier ?